15 février 2016

Conférence de M.Guilhaumon : La relation ARS, un outil central en écologie

I. Introduction :



Tout d’abord, qu’est-ce que la relation ARS ? C’est une relation entre la surface d’un territoire et le nombre d’espèces qui l’occupe.
Pour illustrer cette relation, M. Guilhaumon a pris pour exemple une étude menée sur l’archipel des Galápagos : pour chaque île on mesure la surface et on compte le nombre d’espèces ; puis on place ces couples de données dans un graphique, avec l’aire en abscisse et la richesse spécifique (le nombre d’espèces) en ordonnée. Enfin, on trace la courbe de tendance grâce à laquelle on peut interpoler (« Opération consistant à déterminer, à partir d'une série statistique succincte aux valeurs trop espacées, de nouvelles valeurs correspondant à un caractère intermédiaire pour lequel aucune mesure n'a été effectuée » - Larousse) pour connaître une approximation de la richesse spécifique d’un territoire donné dont on connait déjà l’aire.
Cette relation est observable à toutes les échelles : par exemple dans les cavités se formant sur les arbres, ou bien à l’échelle d’un continent. Il s’agit donc d’une relation universelle, et elle se caractérise par l’augmentation du nombre d’espèces lorsque l’aire augmente.
Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer ce phénomène :
  • L’hypothèse d’échantillonnage stipule que plus de surface implique plus d’individus donc statistiquement plus d’espèces ;
  •  L’hypothèse de diversité des habitats, elle, stipule que plus d’habitats différents implique  plus de niches différentes et donc plus d’espèces.


Ainsi, cette relation permet de connaître le nombre d’espèce d’une grande surface par extrapolation (« Procédé consistant à prolonger une série statistique en introduisant à la suite des termes anciens un terme nouveau qui obéit à la loi de la série, ou, graphiquement, à déterminer l'ordonnée d'un point situé dans le prolongement d'une courbe et qui vérifie l'équation de cette courbe » -  Larousse)  d’une zone de calibration, c'est-à-dire, graphiquement, en prolongeant la courbe de tendance.


Par exemple, on a eu recours à cette technique pour dénombrer les espèces d’arthropodes dans une forêt tropicale (la forêt de San Lorenzo) au Panama : en effet, il est impossible d’échantillonner toute la forêt sans détruire les écosystèmes locaux ; on a donc sélectionné certains types de régions représentatifs de l’ensemble de la forêt et dénombré le nombre d’espèces, puis extrapolé les résultats.

La relation ARS peut aussi servir à prédire l’impact de la destruction des habitats sur le nombre d’espèces présentes : par lecture graphique, on peut connaître les effets de la réduction de la surface d’un habitat sur le nombre d’espèces.


Pour comparer la richesse de différentes régions de taille différentes, on peut avoir recours à différentes approches :
  •          On peut tout d’abord penser que plus la surface est grande, plus il y a d’espèces, et ainsi adopter une approche brute en calculant la surface de chaque région, mais cette méthode ne semble être ni rigoureuse ni proche de la réalité ;
  •          On peut aussi penser à calculer des ratios Aire/Richesse pour chaque région, et classer les régions en fonction de ce rapport ; cependant cette méthode implique d’admettre l’existence d’une relation de proportionnalité parfaite entre l’aire et la richesse spécifique, ce qui est réfutable empiriquement ;
  •          La relation ARS semble être la méthode la plus satisfaisante : on calcule l’aire et on compte le nombre d’espèce pour chaque région, puis on place ces couples de données sous forme de points sur un graphique présentant une courbe de tendance. Plus la différence entre l’ordonnée d’un point représentatif avec celle du point de la courbe partageant la même abscisse que ce point représentatif est grande, plus la région est riche, et inversement si la différence est négative. 


II. Incertitude sur la forme de la relation ARS :




Nous présentons ici un court résumé de la seconde partie de la conférence de François Guilhaumon. Nous n'entrerons pas dans les détails en raison de la complexité des outils mathématiques mis en oeuvre dans cette partie. Pour plus de détails sur cette partie, on pourra se référer au blog des élèves de Terminale S du lycée qui ont étudié plus en détails certains des modèles mathématiques : https://serendipitepmf.wordpress.com/introduction-de-la-conference/
Plus de détails encore sont accessibles dans cet article : http://francoisguilhaumon.free.fr/pdf/Guilhaumon_ECOGRAPHY_2010.pdf

            La forme de la relation ARS peut varier en fonction des combinaisons d'organismes et d'écosystèmes étudiées, il est donc important de choisir le modèle le plus adapté à chaque situation pour calibrer la courbe afin d'obtenir les prédictions les plus fiables possibles. La forme de la relation ARS a donc un grand impact en biologie de la conservation, et elle est discutée depuis de nombreuses années.
Plusieurs modèles ont été avancés, tels que le modèle "exponential", plus adapté aux échelles restreintes, le modèle "power", pour les échelles intermédiaires, et le modèle "logistic" pour les grandes échelles.
Cependant, seul le modèle "power" (qui est historiquement le premier modèle conçu) est utilisé jusqu'à présent en biologie de la conservation. C'est pourquoi des chercheurs comme François Guilhaumon ont décidé de développer une modélisation permettant de quantifier et prendre en compte l'incertitude sur la forme de la relation ARS : à partir de la notion de parcimonie (les modèles les plus vraisemblables et faisant intervenir le moins de paramètres sont valorisés), ils établissent les probabilités relatives de chaque modèle d'être le meilleur, et attribuent à chacun d'eux sa "part du gâteau". On parle alors d'analyse "multi-modèle".

III. Exemples : Détection des hotspots de richesse à l’échelle globale.

       On sait aujourd’hui que le budget à disposition n’est pas suffisant pour protéger les écosystèmes. Les scientifiques essaient donc d’établir des zones de priorité géographiques de conservation. Ces zones sont appelées « hotspots », les zones de fortes biodiversité, menacées par des actions anthropiques.
            Carte des hotspots, d’après le site : http://www.biodiversityhotspots.org

Ces hotspots sont détectés à l'aide de la relation ARS: les chercheurs étalonnent une courbe selon le modèle "power", et placent sur le graphique les points qui correspondent aux zones étudiées. Si un point se situe très au dessus de la courbe (la richesse spécifique est très supérieure à celle attendue pour un territoire de même surface), alors il s'agit d'un hotspot.
            Cependant, M. Guilhaumon fait remarquer que cette méthode d'identification des hotspots n'est sans doute pas la meilleure : en effet, on a vu que la forme de la relation ARS était incertaine (le modèle qui correspond le mieux à la réalité varie en fonction de la situation étudiée). C'est pourquoi il est intéressant ici d'avoir recours à l'analyse multi-modèle, précédemment décrite.
Quatre constats ont découlé de cette analyse :

           -certains jeux de données ne sont pas ajustables (aucun modèle n'est suffisamment fiable);
           -le modèle "power" n'est pas le meilleur dans tous les cas;
           -le meilleur modèle diffère selon les types d'écosystèmes et d'organismes;
           -il existe une incertitude quant au meilleur modèle pour la relation ARS.

            Ces constats impliquent de grandes différences dans l'effort de conservation : certaines régions étaient considérées comme des hotspots avec le modèle "power" mais ne le sont plus avec l'analyse multi-modèle (ou le contraire), et la surface  à prendre en compte pour la protection des 10% des écorégions les plus riches a été multipliée par 13 (de 200 000 km² avec le modèle "power" à 2 600 000 avec l'analyse multi-modèle).
Pour plus de détails sur cette partie, on pourra consulter : http://francoisguilhaumon.free.fr/pdf/Guilhaumon_PNAS_2008.pdf

IV. Conclusion

            La relation Aire-Richesse Spécifique est universelle, c'est-à-dire qu’elle est observable à toutes les échelles de la planète; cependant, il existe plusieurs modèles pour cette relation, mais aucun ne s’adapte parfaitement à tous les types de milieu. L’incertitude quant à l’universalité de chaque modèle a contraint les chercheurs à calculer, par le biais de formules mathématiques, la compatibilité de chaque modèle avec chaque biome (type de milieu) ; ils utilisent ainsi le modèle le plus approprié en fonction du biome.
            La relation ARS a plusieurs fonctions : on peut s’en servir pour prédire l’évolution du nombre d’espèces vivant sur un territoire en fonction de l’aire disponible, par extrapolation de la courbe de tendance de la relation, ou pour  comparer la richesse de deux régions de tailles différentes, mais aussi pour déterminer les régions les plus riches, les ‘hotspots’, et ainsi les protéger des actions destructives de l’Homme.


                               Site officiel de F.Guilhaumon : http://francoisguilhaumon.tk